Le Soudan a mis un terme, en 2019, à trente années de dictature islamiste. Deux ans après l’éviction d’Omar el-Béchir, les lois demeurent cependant largement basées sur la charia. Deux groupes rebelles actifs dans le sud du pays, où la proportion de chrétiens, animistes et athées s’avère plus importante que dans le reste du pays, ont, par conséquent, conditionné leur désarmement à la séparation de la religion et de l’État. Leur obstination a contraint le général Abdel Fattah al-Burhan, chef du Conseil souverain de transition, à ratifier, le 28 mars, une « déclaration de principes » prévoyant la sécularisation de l’État. Une avancée, certes, mais à l’avenir incertain, car conditionné au devenir des négociations qui débuteront le 25 mai à Juba, capitale du Soudan du Sud.
Une intense lutte de pouvoirs
Ladite déclaration a par ailleurs été paraphée par Abdelaziz al-Hilou, à la tête du Mouvement populaire de libération du Soudan du Nord (SPLM-N), l’une des deux formations non-signataires de l’accord de paix de Juba du 3 octobre dernier. « C’est un homme de principe qui cherche un réel changement », estime Elshareef Ali Mohammed, avocat de l’ONG Sudanese Human Rights Initiative, en cours d’écriture d’une thèse sur la liberté religieuse au Soudan. Pour autant, la concrétisation de cette déclaration « ne sera pas facile, prévient-il. Tout dépend de la volonté des militaires pour trouver un compromis. »
Elshareef Ali Mohammed précise que, derrière le cachet d’Abdel Fattah al-Burhan, se joue une intense lutte de pouvoir entre les militaires que ce dernier représente, les milices armées, dont le chef Mohamed Hamdan Dogolo dit « Hemeti » occupe le deuxième rang du Conseil souverain, et les civils présidés par le Premier ministre, Abdallah Hamdok. « Les militaires ne veulent pas vraiment de changement et cherchent avant tout à satisfaire leurs propres intérêts », ajoute l’avocat.
Un miracle pour les chrétiens
Selon Ghada Anglo, responsable du département d’éducation chrétienne de l’université de théologie du Nil de Khartoum, il n’existe pourtant guère d’alternative à la sécularisation du Soudan. « L’opposition des militaires de l’ancien régime à ce principe a mené à la sécession du Soudan du Sud [en 2011], rappelle-t-elle. Ils doivent faire évoluer leur position s’ils se soucient de l’unité du pays et du bien de la nation. Certains de nous voient donc en cette signature un miracle, mais les proches du gouvernement précédent se disent choqués, car ils continuent à refuser la séparation de la religion et de l’État », regrette cette membre d’une Église presbytérienne. « Les islamistes se montrent hostiles à un État séculier, mais ils ne représentent pas l’ensemble des citoyens qui aspirent à un gouvernement civil, par définition neutre en matière de religion », tranche, de son côté, Elshareef Ali Mohammed. Lors d’une enquête réalisée à la veille de la révolution, le Baromètre arabe, un réseau de recherche indépendant, révélait toutefois que plus de six Soudanais sur dix déclaraient que le système législatif devait, selon eux, se baser complètement ou en grande partie sur la charia.
La seule voie possible
Autant d’indicateurs qui annoncent un long chemin sinueux, avant d’inscrire dans la Constitution l’impartialité de l’État « en termes de religion, de foi et de conscience ». Mais, la théologienne et avocate Ghada Anglo insiste. Il est le seul possible pour « faire entendre la voix des chrétiens, réduits au silence depuis si longtemps, et qu’ils deviennent réellement partie prenante de la société ». Le Soudan a en effet tourné le dos au sécularisme depuis 1973, seize ans avant le coup d’État d’Omar el-Béchir.
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